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« Redonner de la valeur à la fonction d’achat de collecte »

GAUTIER LE MOLGAT, directeur général d’Argus Media France (Agritel) depuis le 1er juillet, a animé nos 17es rencontres Agrodistribution sur le thème de la gestion de la volatilité des prix des grains, le 5 avril dernier.

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« Au-delà du prix, il y a aussi le service et tout ce qu’il y a autour en termes de sécurisation », explique Gautier Le Molgat, directeur général d’Argus Media France (Agritel) depuis le 1er juillet, et qui a assuré l’animation de nos 17es rencontres Agrodistribution. Selon lui, les collecteurs sont souvent placés en position de réaction face à un environnement concurrentiel de prix le jour où l’agriculteur est décidé à vendre. Or il y a aussi tout un travail proactif de long terme à revaloriser pour communiquer autour des offres commerciales et du conseil qui va éviter à l’agriculteur de se mettre en risque.

Quel regard portez-vous sur les campagnes 2022 et 2023 ?

En 2022 et encore en 2023, le secteur de la collecte doit faire face à un retour hors norme de la volatilité des prix sur les marchés. Cela fait vingt ans que je travaille dans le secteur de la gestion des prix des grains et je constate qu’on ne s’est jamais ennuyé en 2022, et qu’en 2023 on ne s’ennuie pas non plus. Cela s’est traduit concrètement dans l’organisation des entreprises de collecte par différents niveaux d’adaptation.

Les équipes commerciales ont été mises en tension. Au début de la guerre en Ukraine, les TC se sont retrouvés avec une charge en plus du quotidien à une période qui était déjà bien remplie par les campagnes d’engrais et de phytos… En 2022, les opérateurs semblent dire que les banques ont joué le jeu. Cependant, on était encore dans une configuration d’argent peu cher. En 2023, les collecteurs font face à des frais financiers plus importants concernant les achats en culture ou les appels de marge. C’est un gros point de vigilance.

Quel bilan faites-vous de nos 17es rencontres que vous avez animées ?

Alors que le marché est le même pour tout le monde, je suis toujours surpris de la diversité des solutions qui sont trouvées sur le terrain par les organismes stockeurs pour s’adapter. Les métiers de la collecte sont très riches. Ils reflètent la diversité des entreprises, la diversité des territoires et de l’agriculture française. Cependant, on voit bien que le marché se complexifie et que la fonction commerciale reste une courroie de transmission indispensable sur le terrain.

En l’occurrence, en quoi la question du prix mérite-t-elle réflexion ?

Les professionnels de la collecte témoignent d’une frange d’agriculteurs capables de passer à la concurrence pour quelques euros de plus sur l’achat de leur récolte. Une part des agriculteurs semble ainsi surtout « fidèle au concept d’infidélité ». Ces comportements caricaturaux ne doivent pas être pris pour généralité. Cependant, ils sont très mal vécus par ceux qui achètent la collecte et ils ont le mérite de susciter une réflexion plus globale sur ce qui crée de la valeur ajoutée dans la relation du collecteur avec l’agriculteur et dans la façon dont il est possible de communiquer autour de cette valeur ajoutée. C’est d’autant plus important que les agriculteurs envoient des signaux contradictoires en exigeant également un service toujours plus haut de gamme.

Selon vous, cet opportunisme nuit avant tout à l’agriculteur…

Cette attitude n’est clairement pas dans l’intérêt de l’agriculteur lui-même, à court terme comme à moyen et long termes. À court terme, vouloir gagner 5 €/t sur une vente le jour « J » est dérisoire par rapport à tout l’accompagnement du collecteur pour permettre à l’agriculteur de sécuriser un prix sur la campagne. Sur la récolte 2022, le bénéfice de cet accompagnement peut se chiffrer jusqu’à 150 €/t, si on parle de blé meunier. En effet, on voit que beaucoup d’agriculteurs se sont souvent engagés tôt avant la pleine hausse et qu’ensuite ils ont laissé le train passer. En fin de campagne 2022, alors que les prix avaient considérablement baissé, les collecteurs ont ainsi été très surpris de retrouver des volumes qui n’avaient pas été commercialisés. Mais les agriculteurs avaient le sentiment d’avoir en stock quelque chose de rare et ils ont manqué des ventes. Ceux-là ont clairement un déficit de performance vis-à-vis d’une gestion déléguée à l’organisme stockeur ou vis-à-vis de stratégies de commercialisation bordées par un cadre de gestion établi en lien avec l’OS. La malédiction du collecteur est que cette valeur ajoutée créée pour l’agriculteur est peu visible et peu sue. Tout cet accompagnement qui sécurise les agriculteurs est considéré comme normal et on n’y prête plus attention.

Quel est le risque à long terme ?

Si on regarde à long terme, les comportements opportunistes font peser un vrai risque de destruction de la valeur. En effet, l’opportunisme n’incite pas à investir dans le service. Les agriculteurs ont beaucoup à perdre en termes d’accompagnement et de dynamisme. L’offre pourrait s’appauvrir, perdre en innovation, en réactivité, en agilité… En France, les agriculteurs profitent d’un dynamisme dans l’offre commerciale qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays.

C’est valable quelle que soit la formule de commercialisation choisie ?

Que ce soit en prix ferme, prix moisson, prix indexé Matif ou prix d’acompte avec compléments, l’accompagnement du négoce ou de la coopérative est primordial. Les professionnels font très bien ressortir qu’aujourd’hui il y a très peu d’agriculteurs complètement autonomes dans leur commercialisation. La valeur autour de l’achat de collecte se construit autour d’une offre commerciale diversifiée mais bordée par un conseil, et ceci pour la très grande majorité des producteurs.

Finalement, comment sortir de la question du prix ?

Beaucoup de collecteurs font bouger les lignes pour déplacer la question du prix qui peut être délétère, sur la question de la marge de l’agriculteur. Cela va dans le bon sens. La segmentation des offres semble aussi importante pour s’adresser à toutes les typologies d’agriculteurs. Pour cela il y a des efforts à poursuivre pour bien comprendre les besoins des agriculteurs.

Les OS ont tendance eux aussi à oublier leur propre valeur dans leur relation à l’agriculteur et que c’est en partie pour cela qu’ils sont en risque de se faire piéger sur la question du prix. Il y a tout un travail à mener pour communiquer sur les offres et pour expliquer de façon proactive et faire de la pédagogie. Le TC est toujours une clé de voûte pour faire transpirer l’expertise marché auprès des agriculteurs et il mérite d’être motivé et formé à cela. Tout ceci se prépare sur des mois, voire des années. Le temps de la collecte est un temps long qui réclame beaucoup d’énergie, qui implique des chaînes de décisions, des déploiements de conseil, etc. Le métier de collecte est difficile et parfois mal aimé, mais il en vaut la peine. C’est quand même l’aboutissement de tout le travail de l’année !

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